fond

Alexandre (ou Alexander) Grothendieck est un mathématicien français, né le 28 mars 1928 à Berlin et mort le 13 novembre 2014 à Saint-Lizier, près de Saint-Girons (Ariège). Il est resté longtemps apatride tout en vivant principalement en France ; il obtient la nationalité française en 19713. Il est considéré comme le refondateur de la géométrie algébrique et, à ce titre, comme l'un des plus grands mathématiciens du XXe siècle. Il était connu pour son intuition extraordinaire et sa capacité de travail exceptionnelle. La médaille Fields lui a été décernée en 1966.


Ascendance et enfance

Photo d'Alexandre Grothendieck enfant
Alexandre Grothendieck enfant

Sacha Schapiro, son père, également connu sous le nom de Tanaroff, est un anarchiste militant ukrainien né à Novozybkov, ville située aujourd’hui en Russie, dans l'oblast de Briansk.

Photo de Sascha Schapiro, père d'Alexandre Grothendieck
Sacha Schapiro, le père d'Alexandre Grothendieck

Il est issu d’une famille juive de hassidim. Après avoir passé dix ans en prison pour sa participation à plusieurs soulèvements anti-tsaristes, Sacha Shapiro rejoint Berlin en 1922 ; il y rencontre sa future compagne, journaliste, également anarchiste, Johanna « Hanka » Grothendieck, originaire d’une famille protestante hambourgeoise aisée qui aurait émigré des Pays-Bas au XVIIIe sièclea. Johanna est alors mariée à Johannes « Alf » Raddatz, également journaliste : Alexander naît de la liaison de sa mère avec Sacha Schapiro mais porte d’abord le nom de son père légitime, « Raddatz » dont Hanka divorce en 1929 sans épouser pour autant Sacha, père biologique d’Alexander, qui reconnaît l'enfant. Ensuite, Alexander porte le nom de sa mère, qui a repris son nom de jeune fille, « Grothendieck ».

Photo de Hanka, la mère d'Alexandre Grothendieck
Hanka, la mère d'Alexandre Grothendieck

Hanka et Sacha fréquentent le mouvement libertaire. En 1933, la montée du nazisme le contraint à quitter l'Allemagne pour la France où elle le rejoint en 1934, puis ils partent pour l'Espagne soutenir, lors de la révolution sociale espagnole de 1936, le mouvement anarcho-syndicaliste. Dès mai 1934, Alexander est placé par sa mère dans la famille de Wilhelm Heydorn, un pasteur protestant luthérien antinazi, et maître d'école, alors installé près de Hambourg. En 1939 les Heydorn, vivant dans la crainte de la répression nazie, considèrent qu’il est dangereux pour un enfant ayant une « apparence juive » de rester auprès d’eux et demandent, par l'intermédiaire du consulat français de Hambourg, à ses parents de le reprendre avec eux : Alexander est mis dans un train pour Paris où il rejoint ses parents en mai 1939. Les retrouvailles sont de courte durée : son père Sacha se retrouve interné au camp du Vernet en Ariège ; Alexander ne le reverra plus. En 1940, Hanka et son fils sont emmenés au camp de Rieucros, à côté de Mende, en Lozère ; le jeune Alexander est autorisé à quitter le camp pour aller étudier au lycée Chaptal à Mende. C'est pendant cette période qu'il francise son prénom en « Alexandre »11. En 1942, son père Sacha est transféré du Vernet, à Noé dans la Haute-Garonne, puis à Drancy, d’où il est déporté le 14 août 1942 à Auschwitz. Il y meurt, selon toute vraisemblance, peu de temps après son arrivée. De 1942 à 1944, après le franchissement de la ligne de démarcation par les troupes allemandes, Alexandre est séparé de sa mère et caché au Chambon-sur-Lignon, à la Guespy, une maison d'enfants du Secours suisse aux enfants, dirigée par Juliette Usach, et où sont également cachées de nombreuses autres jeunes victimes des lois raciales. Il est alors élève du collège Cévenol, de la même ville, où il passe son baccalauréat à la fin de la guerre.

Alexandre Grothendieck en tant qu'étudiant

À la fin de la guerre, Alexandre retrouve sa mère pour s'installer avec elle à Meyrargues (Vendargues) près de Montpellier, où ils vivent modestement avec la bourse d'études d'Alexandre ou bien avec des travaux saisonniers comme les vendanges ou encore avec les ménages que fait sa mère. Inscrit en mathématiques à l'université de Montpellier, il fréquente très peu les amphithéâtres, préférant travailler seul à la définition du concept de volume, premières recherches qui, en même temps qu'elles l'initient à la solitude du chercheur, le mènent à redéfinir l'intégrale de Lebesgue. En 1948, il se rend à Paris avec une lettre de recommandation signée par son professeur d'analyse, Jacques Soula, et adressée à Élie Cartan. Il frappe à la porte d'André Magnier, inspecteur général de mathématiques et membre de l'Entraide universitaire de France, qui lui accorde une bourse. Le professeur Henri Cartan, le fils d'Élie, l'admet dans ses séminaires à l'École normale supérieure (ENS) et le dirige vers Jean Dieudonné et Laurent Schwartz qui se trouvent à Nancy — l’un des « bastions » mathématiques à cette époque dans le domaine de l'analyse fonctionnelle — afin de préparer sa thèse. Laurent Schwartz, pour tester les capacités de Grothendieck, lui confie un article qu'il venait de publier avec Dieudonné et qui contient une liste de quatorze problèmes irrésolus, en lui suggérant d'en regarder un ou deux pour se familiariser avec le domaine ; Grothendieck les résoudra tous en quelques mois. C'est le début de sa carrière mathématique.

Alexandre Grothendieck en tant que mathématicien

Il est attaché de recherche du CNRS de 1950 à 1953. Des six articles qu'il rédige pendant cette période, il en choisit un, « Produits tensoriels topologiques et espaces nucléaires », pour soutenir sa thèse. À la suite de la présentation à Paris, par Laurent Schwartz, des travaux de Grothendieck, celui-ci intègre le groupe de Nicolas Bourbaki où il restera plusieurs années. En octobre 1953, il devient père de son premier enfant qu'il eut d'une liaison avec Marcelle (Aline) Driquert, sa logeuse nancéienne, il peine alors à trouver un travail. Par ailleurs, sa situation d'apatride l'empêche d'accéder aux emplois de la fonction publique et la naturalisation ne peut être obtenue qu'après avoir accompli le service militaire : il refused et doit donc trouver un moyen de gagner sa vie. Il quitte la France pour travailler, en tant que professeur invité, au Brésil de 1953 à 1954 — il est alors chargé de recherche du CNRS — puis à l’Université du Kansas en 1955 et à l’Université de Chicago. C'est au cours de cette période qu'il change de sujet d'étude. Après des travaux remarquables en analyse fonctionnelle, il se tourne vers la géométrie algébrique. Il révolutionne ce domaine en établissant de nouvelles fondations et introduit la notion de schéma, en collaboration avec Jean-Pierre Serre. Les deux chercheurs correspondent énormément et leurs styles, bien que très différents, se complètent et portent leurs fruits.

Jean-Pierre Serre et Alexandre Grothendieck, en 1961
Alexandre Grothendieck (à droite) avec Jean-Pierre Serre (à gauche)

Il revient à Paris en 1956 en tant que maître de recherche du CNRS, et se penche sur la topologie et la géométrie algébrique. Il produit alors une nouvelle version du théorème de Riemann-Roch et met en évidence le lien caché entre les propriétés analytiques et topologiques d'une variété. En 1957, le décès de sa mère, victime de la tuberculose qu'elle avait contractée pendant la guerre lors de son séjour dans le camp de Rieucros, le plonge plusieurs mois dans un état dépressif. L'année suivante, il décide de terminer ses travaux inachevés et réalise quelques percées spectaculaires. Il rencontre également sa future femme, Mireille, avec qui il aura trois enfants. Il est accueilli dans le tout nouvel Institut des hautes études scientifiques (IHÉS), consacré à la recherche en physique théorique et en mathématiques. Il y est rejoint par Jean Dieudonné, René Thom, Louis Michel et David Ruelle, et entreprend de construire une théorie de la géométrie algébriquee. Entre 1960 et 1967, il rédige les quatre premiers chapitres (divisés en huit volumes) des Éléments de géométrie algébrique, en collaboration avec Jean Dieudonné. Lauréat de la médaille Fields en 196633, il refuse de se rendre en URSS pour la recevoir.

Rupture avec les institutions

Un voyage au Viêt Nam en 1967, le printemps de Prague et Mai 68 le poussent vers les milieux contestataires jusqu'à ce qu'il démissionne de l'IHÉS en 1970, en signe de protestation contre le financement partiel de l'institut par le ministère de la Défense.

Bâtiment principal de l'IHES
Bâtiment principal de l'IHES"
Couverture d'une des revues Survivre et Vivre
Couverture d'une des revues Survivre et Vivre Voir en plus grand

À la suite de sa démission, il fonde avec Pierre Samuel et Claude Chevalley le groupe écologiste et politique Survivre et vivre dans le but de propager ses idées antimilitaristes et écologistes. Sa maison est alors grande ouverte aux groupes hippies dont il est le « gourou » local. Grothendieck obtient un poste de professeur associé au Collège de France où, le 3 novembre 1971 il introduit son cours de mathématiques par une séance intitulée « Science et technologie dans la crise évolutionniste actuelle : allons-nous continuer la recherche scientifique35 ? » Il aborde ainsi les questions non techniques de la survie « sous sa propre responsabilité, sans sanction officielle, et sans que le fait soit signalé sur les affiches du Collège de France » car « une majorité de professeurs du Collège de France a voté contre, une première dans l’histoire de la vénérable institution ». En 1972, aux États-Unis, Grothendieck rencontre Justine Bumby, une étudiante en mathématiques ; il divorce alors et fonde avec elle une communauté près de Paris. En 1973, il obtient un poste de professeur à l’université de Montpellier, qu'il occupe jusqu'à sa retraite en 1988. Le couple déménage dans un village de l'Hérault et expérimente la contre-culture. Justine Bumby donne naissance à un enfant, John, qui est ensuite lui-même devenu mathématicien ; elle quitte son compagnon peu de temps après la naissance de leur enfant. Grothendieck écrit quatre livres de 1980 à 1995 : La Longue Marche à travers la théorie de Galois, Esquisse d'un programme, À la poursuite des champs (en) et Les Dérivateurs. Par ailleurs, le plus célèbre de ses ouvrages est Récoltes et Semailles, une autobiographie de près d’un millier de pages, écrite vers 1985, qui ne trouve pas d'éditeur. Il y montre comment sa vie a été successivement traversée par trois passions : les mathématiques, la quête de la femme et la méditation. En 1988, il refuse le prix Crafoord, qu’il partage avec Pierre Deligne, invoquant que : [son] salaire de professeur […], est beaucoup plus que suffisant pour [ses] besoins matériels ; les chercheurs de haut niveau auxquels s'adresse un prix prestigieux comme le prix Crafoord sont tous d'un statut social tel qu'ils ont déjà en abondance et le bien-être matériel et le prestige scientifique, ainsi que tous les pouvoirs et prérogatives qui vont avec ; il s’est éloigné du milieu scientifique depuis 1970 et la récompense porte sur des travaux vieux de vingt-cinq ans. Il rejette également un Festschrift, un livre « hommage » rédigé à l'occasion de son 60e anniversaire, persuadé que son œuvre a été mal comprise. En 1990, alors âgé de 62 ans, il se retire dans le petit village de Lasserref, proche de la chaîne des Pyrénées, en Ariège, où il mène une vie de quasi-ermite, refusant pratiquement tout contact avec ses anciennes relations, ce jusqu'à sa mort à l'hôpital de Saint-Girons en 2014.

Manuscrits écrits pendant les années 1980

Tout en ne publiant pas de recherche mathématique de manière conventionnelle au cours des années 1980, il a produit plusieurs manuscrits influents avec une distribution limitée, à la fois mathématique et biographique. Produite entre 1980 et 1981, La Longue Marche à travers la théorie de Galois est un manuscrit de 1 600 pages contenant plusieurs des idées qui ont mené à Esquisse d'un programme. Il comprend également une étude de la théorie de Teichmüller. En 1983, stimulé par la correspondance avec Ronald Brown et Tim Porter à l'université de Bangor, Grothendieck a écrit un manuscrit en anglais de 600 pages intitulé Pursuing Stacks (À la Poursuite des champs (en)), en commençant par une lettre adressée à Daniel Quillen. Cette lettre et les parties successives ont été distribuées à partir de Bangor (voir les liens externes ci-dessous). Au sein de ces derniers, d'une manière informelle et journalière, Grothendieck a expliqué et développé ses idées sur la relation entre la théorie de l'homotopie algébrique et la géométrie algébrique et les perspectives d'une théorie non commutative des champs. Le manuscrit, édité pour publication par G. Maltsiniotis, a ensuite conduit à une autre œuvre monumentale, Les Dérivateurs. Écrit en 1991, ce dernier ouvrage d'environ 2 000 pages a développé les idées homotopiques commencées dans Pursuing Stacks. Une grande partie de ce travail prévoyait le développement ultérieur de la théorie de l'homotopie de Fabien Morel et V. Voevodsky au milieu des années 1990. En 1984, Grothendieck a écrit la proposition « Esquisse d'un programme » pour obtenir un poste au Centre National de Recherche Scientifique (CNRS). Il décrit de nouvelles idées pour étudier l'espace de modules de courbes complexes. Bien que Grothendieck lui-même n'ait jamais publié son travail dans ce domaine, la proposition a inspiré le travail d'autres mathématiciens en devenant la source de la théorie du dessin d'enfant et de la géométrie anabélienne. Il a ensuite été publié dans les actions géométriques de Galois en deux volumes (Cambridge University Press, 1997). Au cours de cette période, Grothendieck a également donné son consentement à publier certains de ses projets pour EGA sur les théorèmes de type Bertini (EGA V, publié dans Ulam Quarterly en 1992-1993 et publié plus tard sur le site Web du Grothendieck Circle en 2004). Dans le manuscrit autobiographique de 1 000 pages Récoltes et semailles (1986), Grothendieck décrit son approche des mathématiques et ses expériences dans la communauté mathématique, une communauté qui l'a d'abord accepté de manière ouverte et accueillante, mais qu'il a progressivement perçue comme étant gouvernée par la concurrence et le statut. Il se plaint de ce qu'il a vu comme « enterrement » de son travail et de sa trahison par ses anciens étudiants et collègues après avoir quitté la communauté. Les travaux de Récoltes et semailles sont maintenant disponibles sur Internet. Des parties de Récoltes et semailles ont été traduites en espagnol et en russe et publiées à Moscou, une traduction anglaise serait en cours. En 1988, Grothendieck refuse le prix Crafoord et s'en explique dans une lettre ouverte aux médias. Il y écrit que les mathématiciens établis comme lui n'ont pas besoin de soutien financier supplémentaire. Il y critique ce qu'il considère comme une baisse du niveau éthique de la communauté scientifique, où le vol scientifique serait, selon lui, devenu monnaie courante et même toléré. La lettre exprime également sa conviction que des événements imprévus avant la fin du siècle entraîneront un effondrement sans précédent de la civilisation. Grothendieck ajoute que son point de vue ne « constitue en aucune façon une critique des objectifs de l'Académie royale dans l'administration de ses fonds ». Il ajoute : « Je regrette le dérangement que mon refus du prix Crafoord peut causer à l'Académie royale. » Il s'excuse pour ce dérangement. La Clef des Songes, un manuscrit de 315 pages écrit en 1987, est le récit de Grothendieck sur la façon dont la considération de la source des rêves l'a conduit à conclure que Dieu existe. Dans le cadre des notes de ce manuscrit, Grothendieck a décrit la vie et la parole de 18 « mutants », les personnes qu'il admirait comme visionnaires bien avant leur temps et qui annonçaient un nouvel âge. Le seul mathématicien de sa liste était Bernhard Riemann. Influencé par la mystique catholique Marthe Robin qui prétendait survivre sur la seule Eucharistie, Grothendieck a failli mourir de faim en 1988. Sa préoccupation croissante à l'égard des questions spirituelles était également évidente dans une lettre intitulée Lettre de la Bonne Nouvelle envoyée à 250 amis en janvier 1990. Il y décrit ses rencontres avec une divinité et annonce qu'un « New Age » commencerait le 14 octobre 1996, avant de se rétracter dans une nouvelle lettre envoyée deux mois après la première. Au début de 1990, il jeûne pendant 45 jours, cet épisode est presque mortel pour lui, son fils Alexandre rappelle qu'il ressemblait à un prisonnier d'Auschwitz.

Image d'Alexandre Grothendieck âgé
Alexandre Grothendieck âgé